Une étude publiée en octobre 2017 a ouvert de nouvelles perspectives pour les traitements anti-âge : il serait possible d’inverser chimiquement le processus de vieillissement des cellules. Des traitements de ce type devraient-ils être régulés comme des cosmétiques ou des médicaments ? Une qualification en médicament induirait-elle une définition du vieillissement comme une maladie curable ?
Il est intéressant de noter que le vieillissement est aujourd’hui défini du Larousse à certains assureurs comme un processus « naturel »1Définition « Vieillissement », consulté le 11/01/18 sur Larousse et « inéluctable »2« Quels sont les facteurs de vieillissement ? », consulté le 23/12/17 sur Axa Prévention. Il est causé par des facteurs externes (soleil, pollution, alimentation, stress, drogues…) et internes (ménopause, troubles psychiques, glycosylation, production de radicaux libres ou encore facteurs génétiques)3Charlotte Montagnat-Rentier, 2014, « Vieillissement de la peau et les produits cosmétiques anti-âge actuels en pharmacie : la réglementation, leur composition, leur efficacité et l’attente des clients », Sciences pharmaceutiques, consulté le 23/12/17 sur HAL Id.
Le 17 octobre 2017, le magazine BMC Cell Biology a publié une étude scientifique de l’université d’Exeter se concentrant sur le facteur génétique du vieillissement4Eva Latorre et al, 17 octobre 2017, « Small molecule modulation of splicing factor expression is associated with rescue from cellular senescence », BMC Cell Biology, DOI 10.1186/s12860-017-0147-7, consulté sur BMC Cell Bio le 21/12/17.
Une équipe de chercheurs a travaillé sur le mécanisme complexe « d’épissage » par lequel un ARN molécule biologique synthétisée dans les cellules par une matrice de l’ADN peut se débarrasser des séquences « introniques » inutiles pour donner de l’ARN « messager » qui est ensuite traduit en protéine5Définition, consultée le 21/12/17. Plus le temps passe, plus ce processus d’épissage s’altère, ce qui engendre un vieillissement des cellules, la « sénescence », ainsi qu’un déclin de leur prolifération.
Les dérivés de resvératrol pourraient donc représenter de nouvelles thérapies anti-dégénératives prometteuses
La conclusion de l’étude se veut enthousiasmante : un composé chimique appelé « dérivés de resvératrol » permettrait aux vieilles cellules, en modulant les facteurs d’épissage, de ressembler et de se comporter à nouveau comme de jeunes cellules, stoppant ainsi leur sénescence, relançant leur prolifération et participant à la prévention des maladies liées à l’âge. Une journaliste de Newsweek a été jusqu’à qualifier cette étude de « découverte révolutionnaire »6Kastalia Medrano, 8 novembre 2017, « Reversing Aging: Scientists Make Old Human Cells Look And Act Younger in Breakthrough Discovery », Newsweek, consulté le 12/12/17.
Les dérivés de resvératrol pourraient donc représenter de nouvelles thérapies anti-dégénératives prometteuses. Ces composés chimiques proviennent d’une substance présente dans le raisin rouge, le chocolat noir et les myrtilles. Le resvératrol est d’ailleurs lui-même connu depuis longtemps pour ses effets sur le ralentissement du vieillissement des cellules et est présent dans de nombreuxcosmétiques7Claire Dhouailly, 18 février 2014, « Le resvératrol, la révolution antirides », Elle, consulté le 12/12/17.
Pour Lorna Harries, l’une des auteurs, il s’agit d’une première étape pour permettre aux personnes de vivre toute leur vie en bonne santé.
Si les dérivés de resvératrol utilisés lors de l’étude étaient introduits dans de nouveaux traitements anti-dégénératifs, la question de leur qualification juridique ne manquerait pas de se poser. Devraient-ils être régulés comme de simples cosmétiques ou comme des médicaments ? Si le régulateur devait retenir la qualification de médicament, ce choix ne marquerait-il pas incidemment l’adoption d’un paradigme selon lequel le vieillissement serait une pathologiecurable et non pas un processus biologique normal et inéluctable ?
EN THÉORIE, UNE DISTINCTION JURIDIQUE CLAIRE ENTRE COSMÉTIQUE ET MÉDICAMENT
En principe, le droit communautaire et le droit national offrent des définitions permettant de distinguer clairement les cosmétiques des médicaments.
D’un côté, les produits cosmétiques sont définis par l’article 2 du règlement n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 comme toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles8Règlement n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009, consulté le 12/12/17 sur Eurosafe).
Cette définition pose ainsi deux critères de distinction par rapport aux médicaments : les lieux d’application de ces produits (les parties superficielles du corps humain) et leurs finalités (nettoyer, parfumer, modifier l’aspect, protéger, maintenir en bon état, corriger les odeurs corporelles).
Le règlement européen de 2009 précise que l’évaluation permettant de déterminer si un produit est uncosmétique doit être effectuée au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble des caractéristiques du produit. Il en dresse une liste qui comporte notamment les produits anti-rides. En France, cette évaluation est confiée à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à la Direction générale de la concurrence etla répression des fraudes (DGCRF).
D’un autre côté, les médicaments sont définis par l’article 5111-1 du code de la santé publique comme toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique9Article L. 5111-1 du code de la santé publique, consulté le 12/12/17 sur Legifrance.
Le médicament ne connait donc aucune limite en termes de lieu d’application sur le corps humain et ses finalités sont plus larges que celles des cosmétiques.
Dans les deux cas, la qualification juridique du produit dépend a priori des allégations que le fabriquant choisit d’avancer auprès du public. Ce n’est qu’a posteriori que le régulateur peut considérer que la qualification ne correspond pas aux allégations ou que les allégations elles-mêmes sont fausses.
Savoir si l’on a affaire à un cosmétique ou un médicament est une question importante car du choix de la qualification juridique du produit dépend son régime de régulation.
Dans le cas du cosmétique, la mise sur le marché n’est subordonnée qu’à l’élaboration d’un dossier d’information sur le produit (DIP) dont le contenu est défini à l’article 11 du règlement de 2009 (description du produit, de la méthode de fabrication, rapport sur la sécurité, preuves des effets revendiqués, données relatives aux expérimentations animales).
En revanche, dans le cas du médicament, sa mise sur le marché ne peut intervenir qu’après l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’ANSM, en application de l’article L. 5121-8 du code de la santé publique. Le régime de publicité et de propagande est également plus strict.
EN PRATIQUE, UNE FRONTIÈRE POREUSE ENTRE COSMÉTIQUE ET MÉDICAMENT
La frontière entre cosmétique et médicament est loin d’être parfaitement hermétique. Après tout, « maintenir la peau en bon état » (lieu d’application et finalité propres au cosmétique) peut nécessiter le recours à une substance « corrigeant ou modifiant les fonctions physiologiques en exerçant une action métabolique » (allégation propre au médicament).
Le législateur lui-même a été confronté à cetteimpossibilité de tracer une frontière absolue entre le cosmétique et le médicament. Il a trouvé la parade en inscrivant au quatrième alinéa de l’article L. 5111 1 du code de la santé publique que lorsqu’un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament et à celle d’autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament.
La loi prévoit donc l’application du régime le plus strict pour les cas tangents.
L’ANSM a récemment fait application de cette règle dans une décision instructive du 13 mars 201710Décision de l’ANSM du 13 mars 2017 portant suspension de la fabrication, de l’exportation, de la distribution en gros, de la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, de la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de la publicité des produits dénommés Neostem Serum et Neostem Pocket Lift de la société Laboratoire Promicea ainsi que le retrait de ces produits, consulté le 13/12/17 sur ansm.sante.fr. Elle a suspendu la production et la distribution des produits Neostem serum et Neostem pocket lift, présentés comme des cosmétiques, car elle a considéré qu’ils étaient en réalité des médicaments et étaient commercialisés et promus en infraction avec les règles qui leur étaient applicables. Pour motiver sa décision, l’ANSM a notamment mis en avant deux circonstances de fait : la forte concentration de deux substances médicamenteuses et leurs propriétés qui conféraient aux produits des effets pharmacologiques incompatibles avec le statut de cosmétique.
LES FUTURS TRAITEMENTS ANTI-DÉGÉNÉRATIFS À BASE DE DÉRIVÉS DE RESVÉRATROL : UN CAS TANGENT ENTRE COSMÉTIQUE ET MÉDICAMENT ?
Dans ce contexte législatif communautaire et national, les futurs traitements qui pourraient résulter des « découvertes révolutionnaires » menées à l’université d’Exeter n’échapperaient que difficilement à la qualification juridique de médicament.
Les dérivés de resvératrol, qui se sont révélés efficaces dans cette expérience pour faire « rajeunir » de vieilles cellules présentes dans la peau, pourraient être intégrés dans des comprimés ou autres dispositifs anti-dégénératifs. Or, leur finalité serait clairement de restaurer, corriger ou modifier les fonctions physiologiques des cellules en exerçant une action métabolique, pour reprendre les termes de la définition posée à l’article L. 5111-1 du code de la santé.
Dans ces cas-là, il y a peu de doute sur le fait qu’ils ne pourraient échapper à la qualification de médicament, ou bien de dispositif médical au sens de la directive du 14 juin 1993 (« tout instrument, appareil, équipement, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel nécessaire pour le bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins (…) d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique. »11Directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, consulté le 12/12/17 sur Eurlex).
En revanche, quid des dérivés de resvératrol qui seraient intégrés à de nouvelles crèmes anti-rides ? Le cas est plus complexe car en principe, le règlement européen sur les cosmétiques intègre les anti-rides dans son champ d’application. Pour autant, comme l’a illustré la décision de l’ASNM du 13 mars 2017, de telles crèmes peuvent être re-qualifiées en médicaments si leur composition intègre une forte concentration d’agents médicamenteux ayant des effets pharmacologiques importants.
On peut en conclure que de nouvelles crèmes anti-rides capables d’inverser le processus de vieillissement des cellules de la peau ne pourraient être considérées comme des cosmétiques que si leur effectivité n’était pas aussi « révolutionnaire » que cela. Au-delà d’un certain seuil, leurs effets sur le métabolisme les feraient probablement passer dans la catégorie des médicaments, avec toutes les contraintes que ce régime impliquerait pour les fabricants.
LA QUALIFICATION D’UN TRAITEMENT ANTI-SÉNESCENCE EN MÉDICAMENT REVIENDRAIT-ELLE À UNE MÉDICALISATION DU VIEILLISSEMENT ? PAS SI SÛR
Il peut sembler étrange voire dérangeant de qualifier de médicament un produit qui n’aurait pas pour finalité de combattre une maladie mais simplement de lutter contre un processus « naturel » et « inéluctable » qu’est le vieillissement, et plus précisément la sénescence des cellules, sauf à considérer que la vieillesse est un état pathologique qui peut être combattu et n’est donc pas inéluctable.
Certains courants transhumanistes n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer une telle vision « médicalisée » du vieillissement. Ce dernier ne serait qu’un état pathologique qu’il serait possible, grâce aux nouvelles technologies, de prévenir, de combattre et de corriger12AFT+Technoprog, 23 août 2016, « Le vieillissement est-il une maladie ? », consulté le 13/12/17 sur transhumanistes.com.
Pour autant, ce serait faire un raccourci trop rapide que de considérer que la qualification juridique de nouveaux traitements anti-sénescence en médicament reviendrait à elle seule à un profond changement de paradigme sur la vision que nos sociétés ont du vieillissement.
Trois circonstances une juridique, une factuelle et une politique invitent à raisongarder.
Premièrement, la définition juridique du médicament est, on l’oublie trop souvent, bien plus large que la simple finalité deguérir un état pathologique. Le médicament inclue certes les substances ayant des propriétés curatives mais aussi celles qui ont des propriétés préventives et, plus largement, les substances qui permettent de modifier les fonctions physiologiques.
La loi n’assigne pas de finalité thérapeutique aux modifications physiologiques induites par les médicaments et laisse par conséquent la porte ouverte à d’autres finalités, comme l’amélioration d’un état jugé normal.
Dès lors, notre conception actuelle du médicament permet de qualifier comme tel des traitements améliorant le fonctionnement de nos cellules sans pour autant faire de la lutte contre le vieillissement une thérapie contre une pathologie.
Deuxièmement, comme on l’a vu précédemment, le vieillissement est un processus multi-factoriel. D’ailleurs, plus on étudie le vieillissement, plus on met à jour de nouveaux facteurs. Si de nouveaux traitements médicaux pouvaient agir plus efficacement sur le facteur génétique en stoppant la sénescence, ils n’auraient qu’un effet très indirect voire nul sur les autres facteurs, notamment les facteurs externes (soleil, pollution, alimentation, stress, drogues…). L’inexorabilité du vieillissement a donc encore de beaux jours devant elle.
Troisièmement, il serait risqué politiquement de suivre les courants transhumanistes qui souhaitent décréter que le vieillissement est une maladie à combattre. En effet, si une telle vision pourrait motiver une augmentation des moyens pour la recherche sur la prévention des maladies liées à l’âge, elle pourrait dans le même temps instiller une culpabilisation des personnes âgées et remettre en cause la nécessité des efforts de solidarité inter-générationnels.
In fine, si les traitements anti-âge du futur ont de grandes chances d’être régis par le statut juridique des médicaments, cela ne signifiera pas pour autant que la vieillesse elle-même se transformera à nos yeux en une maladie curable. Un tel changement de paradigme, loin de résulter d’un débat juridique, ne pourra être causé que par une volonté politique.