Droit international : le vieillissement, maladie sociale


Droit international et vieillissement : le vieillissement comme maladie sociale

Lors du congrès de la Société de Gérontologie au Québec, Aubrey De Grey s’exclamait : « pourquoi acceptons-nous de vieillir ? ». Transhumaniste convaincu, il représente un courant de pensée de plus en plus présent souhaitant mettre les nouvelles technologies au service de la longévité et de la lutte contre le vieillissement.

La découverte d’animaux ne vieillissant pas1https://www.nytimes.com/2012/12/02/magazine/can-a-jellyfish-unlock-the-secret-of-immortality.html, ou possédant des mécanismes de renversement du processus de vieillissement, a mis à mal l’idée commune que le vieillissement était une constante universelle du vivant. Cette découverte laisse penser qu’il ne s’agirait que d’uneaffliction touchant les espèces perdantes d’une loteriegénétique susceptible d’accommodations.

Si en un siècle, l’espérance de vie en France est passée de 50,45 à 81,8 ans2https://www.atlantico.fr/decryptage/943551/30-ans-d-esperance-de-vie-supplementaires-en-un-siecle–merci-qui–gilles-pison. Espérance de vie en France de 1913 à 2013, hommes et femmes confondus, le cadre juridique international applicable au vieillissement reste tributaire d’une représentation du vieillissement qui en fait une phase inéluctable de la vie. L’absence de consensus scientifique et juridique quant à la définition du vieillissement (I) a ainsi pour corollaire la prévalence d’une approche sociale du phénomène (II), c’est-à-dire d’une approche se focalisant sur l’impact social du vieillissement sur les individus et la population en général plutôt que sur sa dimension médicale.

I. L’ABSENCE DE CONSENSUS SCIENTIFIQUE SUR LA DÉFINITION DU VIEILLISSEMENT

La polysémie de la notion de vieillissement, ainsi que l’inadéquation des concepts juridiques à sa qualification en tant que maladie (A) a pour conséquence immédiate une implication limitée des pouvoirs publiques dans l’innovation en matière de traitements médicaux et une sur-représentation du secteur privé (B).

A. LE VIEILLISSEMENT, NOTION POLYSÉMIQUE

Le vieillissement souffre dans le langage commun d’une dualité sémantique. Il désigne à la fois le processus d’entrée dans la période finale de la vie etles conséquences physiologiques d’un âge avancé, à savoir la sénescence. C’est le processus physiologique entrainant une lente dégradation de l’organisme.

“En 1990, le biologiste russe Jaurès Medvdev, (…) décomptait 300 théories du vieillissement”

Si les deux notions sont liées, elles se différencient par les problématiques auxquelles elles renvoient. Tandis que la première s’insère dans une logique de transition démographique, la deuxième relève de considérations biomédicales.

Le vieillissement est également tributaire d’une éti- ologie en construction. En 1990, le biologiste russe Jaurès Medvdev, spécialisé sur l’étude du vieillisse- ment, décomptait 300 théories du vieillissement3https://www.mondediplomatique.fr/1983/12/CHAUVIER/37717. Si certaines études scientifiques ont pu suggérer que la longueur des télomères, extrémités non codantes des chromosomes, était corrélée à la sénescence humaine4Laurent JULLIEN, Télomères et Cancer, Éditions Universitaires Européennes novembre 2011 – l’injection de télomèrase, enzyme créant le télomère, pouvant dès lors « guérir » la sénescence en allongeant les télomères, d’autres études ont montré que l’injection d’une substance appelée FOXO4-DRI permettait de lutter contre le vieillissement en annihilant les cellules sénescentes. Il n’existe donc en l’état aucun consensus sur l’existence d’une cause unique au vieillissement, du moins aucune qui en permettrait le traitement voire la guérison.

Des notions juridiques insuffisantes. La difficulté de qualification du vieillissement en tant que maladie ne procède pas seulement d’insuffisances sémantiques et scientifiques, mais également de l’absence de définition juridique arrêtée de la notion demaladie. Si code de la santé publique français men- tionne de nombreuses maladies, il n’existe aucunedéfinition exacte du terme « maladie » lui-même5Mémento « Droit de la santé publique », Editions Dalloz.

De même, l’Organisation Mondiale de la Santé, organe phare du droit international de la santé depuis 1948, n’a pas posé de définition précise de la maladie, se contentant de définir la « santé » comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »6Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé, entrée en vigueur le 7 avril 1948. A contrario, la maladie serait donc l’état dans lequel la santé ferait défaut.

B. LA CONCENTRATION DE L’INNOVATIONDANS LE SECTEUR PRIVÉ

L’absence de définition arrêtée du vieillissement semble ainsi profiter au secteur privé, où la lutte contre lasénescence s’organise majoritairement autour d’acteurs spécialisés dans la médecine régénérative. Après Aubrey De Grey avec SENS, Google a lancé en 2013 Calico, firme californienne travaillant à éradiquer le vieillissement, dans des buts très prométhéens d’immortalité. De même, depuis 1999, le Buck institute of research for aging s’est lancé dans cette même quête de jeunesse éternelle.

L’enjeu de la qualification juridique du vieillissement pour le secteur privé est majeur : elle emporterait des perspectives de commercialisation de traitements anti-vieillissement ou, à plus court terme, la possibilité de réaliser des essais cliniques.

C’est dans cet objectif que Nir Barzilai7http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2015/06/23/vieillir-est-il-une-maladie/ a saisi en 2015 la Food and Drug Administration (« FDA »), autorité administrative américaine en charge de la protection de la santé publique, de la question de savoir si le vieillissement était une maladie. Ayant remarqué lors d’essai clinique portant sur la metformine, un médicament contre le diabète, que les participants qui avaient reçu ce médicament avaient une espérance de vie supérieure à ceux à qui elle n’avait pas été administré, Barzilai a présenté à la FDA le projet TAME8https://www.afar.org/natgeo/, qui vise à faire reconnaître le vieillissement comme une maladie pour que cette molécule, autorisée depuis 50 ans par la FDA pour lutter contre le diabète, puisse être administrée lors d’essais cliniques comme remède au vieillissement et permettre ainsi, à terme, sa commercialisation. En France, les conditions nécessaires à la tenue d’essais cliniques sont déterminées par la loi encadrant la recherche portant sur la personne humaine9Loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine (dite loi « Jardé ») et son décret d’application n°20161537 du 16 novembre 2016 (2012). Même en l’absence de reconnaissance du statut pathologique du vieillissement, ces conditions ne semblent pas s’opposer à réalisation d’essais cliniques similaires à ceux que proposent Nir Barzilai.

Néanmoins, malgré les récentes initiatives en matière biomédicale, la question du vieillissement et de son impact sur la santé reste aujourd’hui principalement traitée sous l’angle social.

II. LA PRÉVALENCE DE LA CONCEPTION SOCIALE DUVIEILLISSEMENT

A. L’ORIENTATION SOCIALE POLITIQUES INTERNATIONALES DE SANTÉ PUBLIQUE

Le droit international s’intéresse fortement à laquestion du vieillissement et de la santé. Toutefois, la définition multifactorielle du vieillissement somatique révèle que nombre de ces facteurs revêtent une dimension sociale plutôt que médicale.

Ainsi, une étude britannique de 2010 portant sur la population londonienne a mis au jour une corrélation entre la classe sociale d’une personne et son espérance de vie, isolant une différence de 6 ans pour les individus nés sans handicaps, et de 13 pour ceux nés avec handicap. Le choix de l’Organisation Mondiale de la Santé (« OMS ») de concentrer son action sur l’aspect social du vieillissement s’inscrit dans le prolongement de ce constat. La Déclaration politique et Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement10https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2006-4-page-683.htm (2002) de l’ONU, dont l’OMS prend en charge la politique de santé, contient ainsi essentiellement des directives visant à garantir l’insertion sociale des personnes âgées et définit ce qu’il convient de considérer comme des « conditions de vie dignes et bonnes ». L’ambition affichée par l’ONU est ici d’accompagner la transition démographique. Bien qu’elle définisse le vieillissement comme l’« accumulation d’une importante variété de lésions moléculaires et cellulaires » autrement dit, bien qu’elle lui en donne un définition biologique plutôt que sociale, son action consiste à agir sur les facteurs sociaux qui aggravent les symptômes physiques du vieillissement, notamment en délimitant le périmètre des obligations gouvernementales permettant une prise en charge de la population vieillissante. L’OMS se fait aussi porte-parole contre la discrimination à l’égard des populations âgées (« l’âgisme ») qu’elle estime comparable au racisme ou au sexisme.

Au-delà du parti pris pragmatique de l’objectif poursuivi par l’ONU, à qui l’on pourrait difficilement reprocher de ne pas refléter les espérances transhumanistes en ne promouvant pas la recherche anti-vieillissement, celui-ci traduit surtout une conception du vieillissement comme phénomène social global qu’il faut accompagner plutôt que combattre. Au demeurant, le transhumanisme lui-même apparaît pluriel quant à sa conception du vieillissement. Ainsi, Nir Barzilai, prometteur d’un traitement contre le vieillissement, suggère que le but poursuivi pas son projet n’est pas de vivre éternellement, mais de vieillir en bonne santé11https://www.sciencesetavenir.fr/sante/portrait-nir-barzilai-lemedecin-en-guerre-contre-levieillissement_107605, ce qui rejoint les objectifs promulgués par l’OMS et l’Union européenne dans leurs plans d’action respectifs.

En effet, si la compétence de l’Union européenne en matière sanitaire n’est que subsidiaire, l’Union a conçu avec l’OMS un plan d’action « Santé 2020 » traitant du vieillissement en bonne santé au sein des Étatsmembre. Elle insiste notamment sur l’obligation des États membres d’élargir le domaine de la prévention des maladies pour les personnes les plusâgées.Dans la lignée de l’OMS, la France a promulgué une loi sur l’accompagnement des personnes âgées, visant à traiter les facteurs sociaux du vieillissement.

B. L’EMBRASURE MÉDICALE DANS LES DROITS FONDAMENTAUX

Si certaines politiques publiques nationales tant qu’internationales sont tournées vers la gestion des conséquences du vieillissement de la population, diverses normes et conventions visant à protéger les droits fondamentaux offrent néanmoins une perspective d’évolution du droit vers une prise en compte de l’aspect médical de la lutte contre la sénescence. Ainsi, lors de sa 67e Assemblée mondiale de la Santé du 19 mai 2014, l’OMS a adopté la résolution WHA57-21121267e assemblée mondiale de la santé OMS WHA67/2014/REC/1, qui met l’accent sur l’utilisation de la biothérapie pour œuvrer dans les politiques de santé.

Dans le cadre européen, il serait également envisageable faire des articles 2 (« droit à la vie »), et 3 (« interdiction des traitements inhumains ou dégradants ») de la Convention européenne des droits de l’Homme des instruments juridiques dans le cadre de la lutte contre la sénescence. Si l’affaire « Vincent Lambert »13V. notamment Lambert et autres c. France [GC], n°46043/14, CEDH a montré la réticence de la cour de Strasbourg à prendre position sur les questions liées à la fin de vie (notamment au motif, traditionnel, qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe sur la question, en l’occurrence pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie), elle a également ouvert la voie à extension du domaine de la Convention. Le droit à la vie ou l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants pourrait ainsi inclure, dans un futur proche, une obligation pour les États d’administrer des traitements anti-vieillissement, par exemple dans le cadre de leur obligation de protection de la vie(qui, certes, semble pour l’heure invoquée dans le cadre d’atteintes positives à la vie, par exemple dans le cadre d’interventions de forces armées14Mustafić-Mujić et autres c. Pays-Bas (déc.), n°49037/15, CEDH).

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