Le vieillissement est-il une maladie qu’il serait souhaitable d’abolir ? La question, d’apparence audacieuse, mérite d’être posée.
Je vais organiser ma réflexion en trois parties :
- Je vais tout d’abord défendre le point de vue selon lequel le vieillissement peut, effectivement, être considéré comme une maladie.
- Je vais ensuite expliquer pourquoi la perspective d’une vie plus longue peut être considérée comme désirable.
- Enfin, je vais passer en revue les objections les plus courantes contre l’allongement de la durée de vie : risque de perte de sens, d’inégalités, de surpopulation…
Cet article est personnel, mais je pense pouvoir dire qu’il reflète (dans les grandes lignes) l’opinion majoritaire au sein de la communauté transhumaniste. Mon souhait est que ce point de vue devienne un jour un point de vue mainstream. J’espère contribuer au débat sur la question.
Partie 1 : Le vieillissement est-il une maladie ?
Je pense que tout le monde sera d’accord avec cette phrase : le monde se porterait mieux si l’on faisait disparaître le cancer, le sida et Alzheimer. Ces maladies entraînent une dégradation progressive de l’organisme, et, en l’absence de traitement, la mort. N’est-ce pas tragique ? En tout cas, si nous pouvions les éviter, nous ne le souhaiterions pas à nous-même ou à nos proches !
Or, il y a un autre phénomène qui correspond à cette définition une “dégradation progressive de l’organisme entraînant la mort”. Ce phénomène, c’est… le vieillissement.
Cela semble évident, presque tautologique.
C’est parce que nous considérons le vieillissement comme une règle absolue, aussi immuable que la gravité.
Pourtant, la biologie nous montre que ce n’est pas le cas. Par exemple, la méduse Turritopsis nutricula, en l’absence de mort accidentelle, peut régénérer ses cellules indéfiniment1https://www.nytimes.com/2012/12/02/magazine/can-a-jellyfish-unlock-the-secret-of-immortality.html.
Le vieillissement n’est pas une loi de la physique : nous sommes, en quelque sorte, “programmés pour mourir”. En particulier, l’un des mécanismes du vieillissement est l’accumulation de cellules sénescentes2 https://www.nature.com/articles/nature16932. Tout comme les cellules cancéreuses, elles finissent par entraîner la mort si elles ne sont plus éliminées. Or, si nous jugeons souhaitable d’éliminer les cellules cancéreuse, ne serait-il pas tout aussi légitime de vouloir éliminer les cellules sénescentes surnuméraires ? Ainsi que les autres mécanismes entraînant le vieillissement.
Il nous faut revenir un instant sur la définition du mot “maladie”. La définition donnée par le dictionnaire Larousse est la suivante : une “altération de la santé, des fonctions des êtres vivants”3http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/maladie/48809. Fort bien, mais qu’est-ce que la santé, en ce cas ? D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), c’est “un état de complet bien-être physique, mental et social” 4http://www.who.int/about/mission/en/. On ne saurait être plus vague !
Il faut réaliser la chose suivante : la maladie n’est pas un concept scientifique qui repose sur une définition précise. C’est un concept arbitraire qui regroupe des conditions physiologiques que nous considérons comme indésirables. Ainsi, il n’y a pas si longtemps, l’homosexualité était considérée comme une maladie. Cette information ne nous renseigne en rien sur la nature de l’homosexualité : elle nous renseigne juste sur l’homophobie des générations précédentes
Si nous avons sorti l’homosexualité du champ des maladies, nous pourrions demain y faire rentrer le vieillissement. Car, si la maladie n’est rien de plus qu’une condition indésirable, la véritable question qu’il faut se poser est la suivante : le vieillissement est-il indésirable ? Ou, pour formuler les choses plus positivement : est-il désirable de vivre beaucoup plus longtemps en pleine santé ?
Partie 2 : Est-il désirable de vivre plus longtemps ?
Soyons clairs sur la définition : il ne s’agit pas de vivre 100 ans de plus allongé dans un lit d’hôpital, sous assistance respiratoire. Il s’agit de ralentir le vieillissement, de le stopper, et pourquoi pas de l’inverser. Cela, afin de vivre le plus longtemps possible en pleine forme, en pleine santé et en pleine possession de ses moyens. Il ne s’agit pas non plus de maintenir des gens en vie contre leur gré : si vivre beaucoup plus longtemps devient un droit, alors mourir doit également être un droit.
Cela étant dit, si vous parlez d’allongement de la durée de vie, vous obtiendrez très souvent la réaction suivante : “Que ferais-je de 50 ans de vie en plus ? Je ne sais déjà pas quoi faire le dimanche après-midi !”
Cette réaction me désole toujours, et je vais tenter d’expliquer pourquoi. Ce n’est, fort heureusement, pas le point de vue de tout le monde.
Le monde n’a jamais été aussi riche et complexe qu’aujourd’hui, en termes de possibilités. Songez un instant à tous les livres que vous pourriez lire, à tous les endroits que vous pourriez visiter, à toutes les personnes que vous pourriez rencontrer, à toutes les œuvres que vous pourriez créer, à toutes les découvertes que vous pourriez faire, à tous les défis que vous pourriez relever… Mille ans ne suffiraient pas à en voir le bout. En fait, si l’humanité survit à ses penchants autodestructeurs, le monde dans mille ans sera probablement mille fois plus complexe qu’aujourd’hui : vous n’épuiserez donc jamais toutes les possibilités ! Le ratio entre “ce que vous avez fait” et “ce que vous pourriez faire” sera toujours de plus en plus infime…
Si une personne affirme “avoir fait le tour de la vie”, elle se trompe très probablement. Elle nous indique juste sa lassitude de la vie qui, le plus souvent, découle de la fatigue et des souffrances liées au grand âge. Or, c’est bien la forme physique et mentale qu’il s’agit d’entretenir le plus longtemps possible (ou, à défaut, de restaurer partiellement chez les personnes âgées).
Le Docteur Laurent Alexandre personnage sulfureux dont je ne partage pas toutes les opinions s’exclamait sur un plateau télé, avec une franchise déconcertante :
“J’ai des choses à faire pour mille ans. Il n’y a que les déprimés qui veulent mourir à 75 ans !”
https://www.youtube.com/watch?v=PIWSkT7LNNU&feature=youtu.be&t=1m37s
Vouloir vivre plus longtemps, c’est tout simplement vouloir embrasser davantage les richesses de la vie, dont nous n’avons qu’un minuscule aperçu au cours de notre brève existence (en étant sévèrement limités dans nos dernières années). Et à supposer que l’on se lasse malgré tout après plusieurs siècles à défaut d’avoir exploré toutes les possibilités, donc il sera alors toujours temps de mourir… Mais ce sera une mort choisie, et non une mort subie.
Tout cela étant dit, il reste cependant plusieurs objections à l’allongement de la durée de vie. Je vais tenter de répondre à certaines d’entre elles ci-dessous.
Partie 3 : Réponses aux objections
Objection #1 : C’est contre-nature !
Comme les vaccins et la plupart des traitements médicaux. Ce qui est naturel, c’est (par exemple) de mourir de la tuberculose avant 50 ans. En fait, la plupart des humains des siècles passés ont été fauchés précocement par la mortalité infantile ! Des mesures non-naturelles visant à allonger la vie, cela est déjà largement accepté, et considéré comme positif.
Objection #2 : Cela va créer une crise de surpopulation
Aujourd’hui, nous sommes mortels, et cela n’empêche pas la population d’augmenter exponentiellement (même si certains experts prévoient une stabilisation5https://www.youtube.com/watch?v=2LyzBoHo5EI). A l’inverse, si 1000 “amortels” décidaient de n’avoir qu’un enfant par couple, il y en aura 500 à la génération suivante, puis 250, puis 125… et, au final, jamais plus de 2000 individus. La surpopulation à supposer qu’elle soit un problème est une affaire de nombre d’enfants, pas de longévité.
Objection #3 : N’y a-t-il pas des problèmes plus urgents ?
Il faut bien entendu s’occuper des problèmes urgents. Mais si nous nous préoccupions uniquement de l’urgent, nous serions encore au Moyen-Âge ! Et nous n’aurions pas développé de nombreuses techniques (notamment médicales) permettant de traiter efficacement des situations urgentes. On pourrait même se demander : n’y a t-il pas urgence à sauver les humains de la mort ?
Objection #4 : Il ne faut pas vivre plus, mais vivre mieux
Ces deux choses ne sont pas
contradictoires, bien au contraire ! On oppose souvent la qualité à la
quantité. Or, si vous voulez devenir virtuose au violon (un talent qualitatif),
vous devrez pratiquer le violon pendant des milliers d’heures (investissement
quantitatif). De même, si vous voulez vivre mieux (qualitatif), vous apprécierez
notamment de pouvoir passer plus de temps avec vos proches (quantitatif). Les
deux sont souvent liés, car le temps est le carburant primordial de la vie.
Objection #5 : Ce sera réservé aux riches !
On disait la même chose du téléphone portable dans les années 90. Aujourd’hui, 75% des humains sur Terre en possèdent un6http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2012/07/17/mobile-phone-access-reaches-three-quarters-planets-population. Tous les produits utiles finissent par se démocratiser ; seuls les produits de luxe restent réservés aux riches, car le luxe repose par définition sur la rareté. Mais vivre plus longtemps… “ce n’est pas un luxe” ! A nous de rendre cette démocratisation la plus rapide possible.
Objection #6 : Une vie sans limitation de durée a-t-elle un sens ? La beauté de la vie repose sur sa brièveté…
C’est ce que nous nous disons pour nous consoler de la mort. Pourtant, observez un enfant qui joue avec application : il n’a pas encore conscience de la mort, mais cela ne l’empêche pas de vivre avec intensité ! Nous gagnerions à redevenir “philosophiquement” des enfants, capables de s’émerveiller sans cesse de nouvelles choses.
Objection #7 : Au fond, vous avez juste peur de mourir !
Savoir accepter la mort est une preuve de maturité, mais cela ne signifie pas pour autant que la mort est désirable. En fait, s’auto-persuader que mourir est une bonne chose n’est pas la façon la plus mature d’accepter la mort ! Cela a davantage à voir avec le syndrome de Stockholm7http://transhumanistes.com/syndrome-de-stockholm-de-mortalite/.
“Puissé-je avoir la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaître la différence.”
Reinhold Niebuhr
Une phrase qui prend un sens
nouveau, dans un monde où le vieillissement pourrait bien devenir
“guérissable”…
Conclusion
Au terme de cet article, j’espère avoir invité à réfléchir au moins quelques lecteurs sceptiques. Il y a de nombreuses barrières psychologiques qui empêchent de considérer l’allongement de la durée de vie comme désirable. Cela mérite d’y réfléchir calmement, et de reconsidérer certains de nos préjugés sur la question.
La maladie n’est jamais que ce que nous définissons comme telle. Aujourd’hui, abolir le vieillissement est considéré comme un luxe, comme une folie, voire comme un danger. Demain, ce sera peut-être considéré comme le plus grand enjeu de santé publique.
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