Édito


Nous voulons être mortels, et ne point mourir

Alfonso-Antonio de Sarasa, L’Art de se tranquiliser dans tous les événements de la vie

Au livre III de ses Histoires, Hérodote évoque les guerres du souverain Cambyse. Les espions de Cambyse, arrivés en Éthiopie, y apprennent que la plupart des éthiopiens vivent jusqu’à l’âge de cent vingt ans grâce à un régime alimentaire fait de viande bouillie et de lait. Peu convaincus, les espions sont alors conduits devant une fontaine. « Ceux qui s’y baignent en sortent parfumés comme d’une odeur de violette, et plus luisants que s’ils s’étaient frottés d’huile », nous dit Hérodote, avant de spéculer : « si cette eau est véritablement telle qu’on le dit, l’usage perpétuel [qu’en font les éthiopiens] est peut-être la cause d’une si longue vie ».

En un sens, le récit d’Hérodote illustre notre propre ambivalence face au vieillissement. A chaque annonce d’une découverte scientifique ou médicale augurant de l’allongement de l’espérance de vie, deux mouvements cohabitent : celui des sceptiques qui s’empressent de douter de la véracité de l’annonce, prompts à dénoncer la crédulité de ceux qui y croient, et qui finalement se passeraient bien d’immortalité ; et celui des enthousiastes qui voudraient bien y voir une percée scientifique authentique, quitte suspendre leur incrédulité.

Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner de l’existence du transhumanisme et, simultanément, des fortes résistances qu’il suscite.

Le transhumanisme est un mouvement intellectuel et social issu de la seconde moitié du XXème siècle qui prône l’amélioration de l’être humain par la technologie. Parmi ses nombreux projets se trouvent le transfert de la conscience humaine dans une machine ou dans un clone, l’augmentation infinie de l’espérance de vie et l’effacement des signes et symptômes du vieillissement.

Ses promoteurs y voient la prochaine étape de l’humanité. En témoigne l’enthousiasme avec lequel a été accueillie la découverte de « CRISPR Cas9 », technique révolutionnaire d’édition du génome, dont certains ont d’emblée imaginé qu’elle portait les germes d’une cure contre le vieillissement.

Ses détracteurs n’y voient que l’incarnation la plus récente du fantasme d’un corps protégé des effets du vieillissement.

On devine, en filigrane, une question commune : le vieillissement est-il une maladie dont il faut guérir ?

Le débat sur la fin de vie et la médicalisation du vieillissement offre un premier aperçu du potentiel conflictuel de la question. En un sens, l’euthanasie apparaît de moins en moins justifiable d’un point de vue éthique et juridique à mesure que l’espérance de vie croît. Pourtant, la perspective d’une vie sans fin donne le sentiment qu’on substitue au droit à la vie une obligation de vivre. Une polémique résolument inédite et pourtant étrangement familière, lorsque l’on sait qu’en 1976, bien avant l’affaire Lambert, la Cour Suprême du New Jersey estimait que l’interruption des soins prodigués à une jeune fille tombée « dans un état végétatif permanent » était licite, au nom du droit au respect de la vie privée.

Le problème n’est donc pas de savoir quand nous deviendrons immortels, ni comment, au sens technologique du terme (qu’importe, au fond, que l’on vive éternellement de viande bouillie, de bains dans la fontaine de jouvence ou de cures au CRISPR Cas9). Il est de savoir comment notre système juridique et régulatoire va s’accommoder d’une réalité qui semble chaque jour un peu plus tangible, et qu’un mathématicien jésuite du XVIIème siècle résumait non sans ironie dans son Art de se tranquiliser dans tous les événements de la vie : « nous voulons être mortels, et ne point mourir. Cela n’est-il pas drôle ? »

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